Renoir rentra à Paris entre les négociations de paix et l'établissement de la Commune. A Louveciennes, où il trouva refuge chez sa soeur et le maride celle-ci, le graveur Leray, les esprits étaient trés échauffés. Sa soeur lui proposa de faire la conaissance de Luise Michel, qui s'était soudain révélée comme le porte-parole de droits de la femme. "Clemenceau te présentera", lui avait-elle dit. Renoir préféra aller voir Coubert, qui avait accepté le poste de Directeur des Arts sous la Commune et était fort occupé à mettre en lieu sûr, à l'abrides bonbardements, le trésor artistique dela ville - tableaux, statues, bibliotheques. Coubert se tenait bien à écart des aprês luttes politiques qui, presque chaque jour, modifiaient la composition de la Commune et le commandement de son armée.
     Sans plus se préoccuper de la guerre et de la révolution, renoir reprit son chevalet et sa boîte de coleurs et commença à peindre son vieil amour: la Seine. C'était une étrange occupation dans une ville en état de siège et il ne dut être supris outre mesure lorsque deux Fédérés le prirent pour un espion des Versailles. Un attroupement se produisit, quelqu'un cria: "Jetez-le à l'eau!" les Fédérés l'emmenèrent aux bureaux de la Sûreté Générale de la Commune, à l'Hôtel de Ville; là, avec cette rapidité d'exécution prope aux régimes révolutioannaires, son sort aurait pu être réglé en quelques minutes par délégué de la Sûreté Générale si Renoir n'avait soudain reconnu dans ce Communard à l'écharpe rouge Raoul Rigault, le jeune réfugié qu'il avait autrefois recueilli et cache'dans la forêt de Fontainebleau.
   "Des braves gens, ces Communards, pleins de bonnes intentions, disait Renoir à son fils Jean, bien des années plus tard, mais on ne recommence pas Robespierre. Ils avaient quatre-vingts ans de retard. Et pourquoi brûler les Tuileries? Ça ne cassait rien, mais c'était quand même moins "toc"que ce qui nous attendait." Renoir avait passé les premières annés de sa jeunesse à l'ombre de l'ancien palais de Tuileries, qui ne fut jamais reconstruit.
     Une des premières dispositions prises par le gouvernement de Défense Naionale avait été de nommer une comission d'artistes pour prendre soin des trésors d'art, des musées et des monuments publics de la ville. Elu président de cette commission, Coubert avait proposé la destruction de la Colonne Vendôme. Surmontée d'une satatue de Napoleon I - en César couronné de lauriers - cette colonne de pierre gaînée de bronze des près de cinquante mètres de haut (produit de la fonte des canons autrichiens et russes pris à Austerlitz), sur laquelle avaient été disposés en spirale, comme sur la Colonne Trajane de Rome, des bas-reliefs représentant les triomphes de l'empereur, était considerérée comme un témoignage intolérable du bonapartisme. Coubert était séduit par cette idée, mais il y avait des tâches plus urgentes, notamment mettre à l'abri les trésoura du Louvre et entourer de sacs de sable les monuments de la ville, comme l'Arc de Triomphe, pour les protéger des bombardements prussiens. Entretemps, le gouvernement de Défense Nationale fut remplacé par la Commune. Coubert put, à ce moment, réaliser une des réformes qu'il aimait à préconiser: la suppression de l'Académie des Beaux-Arts, de ses Salons et de ses écoles. Mais déjà les socialistes modérés

 

Coubert et la Commune



Edouard Manet: Portrait de Coubert, plume - 1878

 


Affiche des élections à la Commune - 1871.

 



Affiche de la Commune - 1871.
Coubert à la Commune, photographie.

Carte de membre de Coubert de la Fédération des Artistes, créée pendant la Commune.

de la Commune, au groupe desquels il appartenait, étaient en train de se faire évincer (sinon fusiller sans autre forme de procès) par les Blanquistes, les Hébertistes et les Jacobins.
     Il n'a pas été prouvé que Coubert se soit opposé catégoriquement aux actes de terrorisme perpétrés par la Commune, masi il est certain qu'il fut profondément marqué par l'exécution sommaire de som ami Gustave Chaudey, dont la brève gestion comme maire de Paris n'avait pas reçu l'approbation de Rigault. Le 11 mai 1871, Coubert donna sa démission. Il était cependant présent lorsque, le 16 mai, la Colonne Vendôme, surmontée d'un drapeau tricolore, fut démolie et alla s'/ecraser sur la place au son de la Marseillaise. Le lendemain, trop tard peut-être, Coubert rompit complètement avec la Commune.
     Le 21 mai, les troupes versaillaises entrèrent dans la ville. Elles se divisèrent en deux colonnes principales qui suivirent les quais sur chaque rive de la Seine, en avançant vers l'Hôtel de Ville. Les Fédérés luttèrent rue après rue, barricade après barricade. On ne faisait pas de quartier, ni d'un côté ni de l'autre. Dans les dernières heures de la Commune, Rigaut fit fusiller un certain nombr d'otages, dont Mgr Darboy, archev6eque de Paris, et ses partisans miremt le feu aux édifices qui restaient le symbole du règne de Napoléon III: ses résidences - le palais des Tuileries et le Palais Royal - la Monnaie, la Maison de la Légion d'honneur et, finalement, leur propre citadelle, l'Hotel de Ville. Au cours des operations de nettoyage qui suivirent, les derniers survivants des Fédérés et des bataillons d'ouvriers furent rapidement chassés par l'armée régulière des catacombes de la rive gauche, du cimetière du Père-Lachaise et des caves de Belleville, amenés devant des cours martiales, attachés parfois par groupes de dix, et exécutés à la mitrailleuse. En aval des casernes de la rue Lobau, la Seine, pendant des jours resta littéralement rouge de sang. Camille Pelletan, dans l'étude détaillée qu'il fit quelques années plus tard de ces événements, écrit: "Le retour du gouvernement à Paris fut marqué par le massacre de vingt à trent mille Parisiens selon les uns, de dix-sept mille selon les autres." Les pertes de l'armée régulière, qui comprenait cent mille hommes, furent de 873 tués.
    Coubert fut arrêté le 7 juin suivant dans la maison d'un ami et emprisonné à Versailles. Au cours des trois mois qui suivirent, il fut transferé d'une prison surpeuplée à l'autre, pendant que des milliers d'autres inculpés étaient jugés par les tribunaux militaires. Lorsque vint le tour de Coubert, la justice militaire avait été apaisée dans une certaine mesure, et aucune charge ne fut retenue contre lui, sauf celle de complicité dans la destruction de monuments publics. En conséquence, il ne fut condammé qu'à une peine relativement légère de six mois de prison pour le vague motif d'atteinte au moral de l'armée.
     De retour à Ornans, sa ville natale, Coubert peignit deux toiles qu'il envoya au prochain Salon. Elles furent repoussées automatiquement. " Coubert doit être exclu des expositions", déclara Ernest Meissonier, le grand responsable de l'art officiel et ajoutait que, dorénavant, il devait être considéré comme mort. Ses ouvres furent retirrés des expositions publiques. Cette décision provoqua la protestation des libéraux, mais les artistes officiels étaient encore irrités de la clémence dont o avait fait preuve à l'égard de Coubert.

 
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