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Le Café Guerbois avait immédiatement désigné sa propre
liste de jurés, qui comprenait Coubert et Manet, Daumier et Daubigny,
Corot et Millet. Seuls Daubigny et Corot furent admis au Comité.
Cependant, le choix des toiles reçues au salon témoignait d'une
libéralité exceptionnelle à égard des jeunes peintres.
Cézanne avait attendu jusqu'au tout dernier
moment pour soumettre ses toiles. C'étaient un Nu couché qui ne
faisait acune concession aux idées conventionnelles sur la grâce
féminine et un portrait de son ami paraplégique Achille Emperaire, à la
belle tête et au torse puissant, mais aux jambes atrophiées que peintre
n'avait nullement tenté de dissimuler.
Dans l'ensemble, les jeunes peintres peuvent se
féliciter: si la critique continuait à leur être défavorable, leurs
oeuvres étaient enfin présentées au public et accessibles à des miliers
de visiteurs. Par ailleurs, l'annonce de l'entrée en guerre de la France
contre l'Allemagne pouvait apporter un sentiment de découragement, mais
non pas d'écrasement car, au cours des vingt dernières années, la France
avait été en guerre avec une demi-douzaine de pays et le palmarès des
victoires de l'armée française était aussi brillante que ses uniformes.
Cependant, six semaines plus tard, les armées prussiennes enfonçaient
les lignes françaises à sedan, Napoléon III se rendait et était fait
prisonnier de guerre. La nouvelle s'abattit sur la France comme un coup
de massue.
Des centaines de milliers de Parisiens
descendirent sur les boulevards. On brandissait des drapeaux tricolores,
on portait des cocardes; des orateurs débitaient des discours enflammés
que les gens écoutaient d'un air ahuri. On chantait la Marseillaise et
le Chant du Départ, on arrachait les journaux des mains des vendeurs, et
toute la ville bourdonnait de fausses nouvelles. Un gouvernrment de
coalition de Défense Nationale fut constitué; il annonça la création
d'une garde nationale destinée à défndre la capitale. Degas et manet
s'engagèrent; leur situation sociale leur permettait d'obtenir un grade
d'officier; Degas était dans l'artillerie, Manet également, puis il
devint officier d'état-major. Il constava avec dépit que son supérieur
hiérarchique était le peintre Ernest Meissonier.
Quinze jours après la chute de Sedan, les
Prussiens arrivèrent devant Paris et prirent position en face du système
de forts disposés en cerle autour de la capitale. Une tentative de prise
du pouvoir par les partis révolutionnaires fut déjouée; le gouvernement
nomma le général Trochu gouverneur de la ville et le général Vinoy
commandant des forces armées. Léon Gambetta, dont la ferveur
révolutionnaire e'était muée en ardeur républicaine, s'échappa de Paris
en ballon avec mission de rassembler les forces dispersées dans le sud
et l'ouest de la France pour les envoyer au secours de la capitale
assiégée.
Deux mois environ après l'encerclement de la
ville par les Prussiens, un vaillant effort fut entrepris pour libérer
cell-ci. Des forces importantes placées sous les ordres du général
Ducrot tentèrent une sortie à l'est de Paris. Leur objectif était d'atteindre
la Marne, puis d'obliquer vers le sud et d'effectuer leur jonction avec
l'armée française hâtivement regroupée sur la Loire. Pendant trois jours,
de durs combats se déroulèrent dans la région de Champigny, où Manet, en
qualité d'agent de liaison, portant à cheval des dépêches entre Paris et
l'état-major de Ducrot, essuya le feu ennemi. |
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Nivellement des abords du
boulevard Malesherbes, photographie - 1864
Hippolyte Bayard: Les toits de Paris vus le Montmartre,
photographie - 1842
Au cours de la première partie du XIXe siècle, le
développement industriel fait doubler la population des
centres urbains. Dans Paris surpeuplé, le manque
d'hygiène est alarmant. Dès 1853, Napoléon III charge le
baron Haussmann, préfet de la ville, de donner à celle-ci
le visage qu'on lui connaît aujourd'hui. Haussmann trace
de larges artères, laisse entrer l'air et la lumière par
la multiplication des espaces verts, dote la capitale de
gares et des halles d'approvisionnement, l'équipe
souterrainement en eau et en gaz. Ces plans qui tiennent
compte des exigences de la vie moderne, restent
cependant fidèles à une idéeabsolutiste du pouvoir; ils
obéissent moins aux exigences sociales qu'à la volonté
d'une demonstration de puissance. Cette structure
moderne de Paris deviendra vite menaçante: les larges
avenues, qui permettent de retrouver la fluidité du
trafic, facilitent aussi une plus rapide intervention de
l'armée dans les quartiers populaires, où la révolte
gronde.
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La percée espérée échoua avec de
lourdes pertes pour les forces françaises. Tout espoir d'effectuer la
jonction entre les forces de Ducrot et l'armée de la Loire fut dès ce
moment perdu: des unités allemandes, commandées par le prince impérial
de Prusse, avaient obligé celle-ci `se replier. C'est au cours de cette
retraite de l'armée de la Loire que Bazille sera tué.
Pendant les négociations qui avaient conduit à la
reddition de Napoléon III à sedan, Bismarck avait accusé les Français
d'être une nation irritable, envieuse, jalouse, et d'un orgueil démesure.
Rappelant qu'au cours des deux siècles précédents, les armées françaises
avaient fait la guerre à l'Allemagne à plus de trente reprises, il avait
dit à un général français que les Français semblaient croire que la
victoire leur est réservée et que la gloire des armaes n'appartient qu'à
eux seuls. Le 18 janvier 1871, au château de versailles, où avaient
régné autrefois les rois de France, Guillaume de Prusse fut couronné
empereur d'Allemagne devant une cohorte étincelant de généraux en bottes.
A la fin du mois de janvier, l'armistice entre en vigueur et la
démoblisation générale fut décrétée. manet alla rejoindre sa famille à
Oloron-Sainte-Marie, dans les Pyrénées, et Degas resta à paris, où il
passait une grande partie de son temps chez Morisot.
Un nouveau gouvernement, à la tête duquel se
trouvait Adolphe Thiers, fut constitué à Versailles et entama les
négociations de paix avec Bismarck. Pendant ce temps, à Paris, la Garde
nationale - les Fédérés, comme on les appela plus tard - refusait de
rendre se armes. Vers la fin de février, le gouvernement Thiers signa
avec l'Allemagne un accord qui assurait à celle-ci une indemnité de
guerre sans précédent, et une occupation partielle de Paris. Cet accord
fut dénoncé par Gambetta tandis que, quelques jours plus tard, les
troupes allemandes défilaient au pas de l'oie sur les Champs-Elysées
déserts, avec leur casques à point et leurs cuirasses étincelantes, dans
un silence de mort. Cette humiliation eut pour effet - il se peut que
Bismarck l'ait prévu - de décider les Fédérés à passer à la révolte
ouvert. Forts à ce moment de quelque 300.000 hommes, ils s'emparèrent de
l'artillerie, nommèrent leurs propres officiers et ordonnèrent
l'élection d'un gouvernement communal responsable de l'organisation de
la résistance. Pendant les soixante jours de son existence, la Commune
de Paris, d'abord entre les mains de simples patriotes, finit par passer
entre celles de révolutionnaires dont les idées et les objectifs
allaient bien au-delà de la defense de la ville. l semblait à ces hommes
que le moment était venu de réoarer le mal et de redresser enfin les
injustices du régime: répression politique, système policier,
l'effroyable pauvreté, la prostitution éhontée, le mercantilisme effréné,
et les aventures fomentées par des militaires irresponsables. A mesure
que le contrôle de la situation échappait aux dirigeants, le pouvoir
s'exerçait en appliquant les seuls précédents connus, ceux des
révolutions de 1793 et 1848; les Communards dispensaient la mort avec la
même insouciance qui présidera à leur propre destruction. cependant,
rien de ce qu'ils ont fait n'a approché le caractère impitoyable des
moyens de répression employés pour les soumettre. Manet fit plusieurs
croquis des exécutions sommaires sur les barricades.
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