La naïveté de Manet était une source continuelle d'étonnement au
Café Guerbois, dont les habitués avaient tendance à être
politiquement avertis, pour ne pas dire franchement sur les
gardes. Pissarro était socieliste, dans le sens où on entendait
ce terme avant Marx; idealiste, anarchiste et égalitaire, il n'avait
nullement le même esprit que Manet. Il était l'un des rares
artistes - avec Coubert et Degas - à avoir lu Du Principe de
l'art d Proudhon; il n'était certainement pas d'accord avec les
commentaires que Degas avait faits de cet ouvrage en disant que
c'est merveilleux de prendre un sujet, de l'entendre développer
au cours de la conversation, et puis ensuite d'en pondre pour
trois cents pages!
Degas lui aussi client fidèle du Café Guerbois était
l'un de ceux dont les vues pouvaient paraître les plus
intransigeantes: "J'étaits, ou je semblais dur avec tout le
monde, écrivait-il plus tard, par une sorte d'entraînement à la
brutalité, qui me venait de mon doute et de ma mauvaise humeur.
Je me sentais si mal fait, si mal outillé, si mou, pendant qu'il
me semblait que mes calculs d'art étaient si justes."
Un jour, une violent querelle s'éleva entre Manet
et Degas au Café Guerbois. Le motif en a été oublié, mais la
chronique rapporte que chacun des antagonistes retourna à
l'autre une toile dont il lui avait fait cadeau précédemment.
Degas reçut ainsi en retour son portrait mutilé de Madame Manet
au piano: quant à Manet, on ne sait pas exactement ce qui
luiéchut.
Renoir faisait des réserves sur nombre de
choses qui se disaient au cours des réunions du Café Guerbois. "Ils
reprochaient à Corot de retravailler ses paysages à l'atelier,
disait-il plus tard. Ils déblatéraient sur Ingres. Je les
laissais dire. Je trouvais que Corot avait rason, et je me
délectais en cachette du joli ventre de la Source, du cout et
des bras de Madame Rivière." Mais, sur le chapitre de la
musique, Renoir, se souvenant qu'il avait été choriste dans sa
jeunesse, était plus intransigeant et soutenait Berlioz.
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Le 21 mai 1867, Monet annonce à
Bazille l'ouverture des expositions personnelles de
Manet et Coubert, en marge de l'Exposition Universelle:
"Manet ouvre dans deuxs jours. Il est dans des transes
affreuses. Je vous rendrai compte de cela. L'ouverture
sera curieuse. Coubert ouvre lui d'aujourd'hui en huit,
c'est-à-dire lundi prochain. Celui-lá c'est une autre
affaire. Figurez-vous qu'il invite tous les artistes de
Paris pour le premie jour. il envoie trois mille
invitations. Et même à chaque artiste il joint son
catalogue. Croyez-vous qu'il fait bienles choses, son
intention est de conserver sa bâtisse où il a déjà fait
faire un atelier pour lui au premier, et l'année
prochaine quand on voudra il loureait sa salle à ceux
qui voudront y faire une exposition. Travaillons donc
ferme et arrivons là avec des choses sans reproche.
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Exposition particulière de Gustave Coubert au Rond-Point
de l'Alma à Paris en 1867. |
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