Après ce premier triage, le jury prenait deux jours de repos, pendant que les gardiens remettaient les toiles en ordre. Il entreprenait ensuite de choisir, parmi les trois mille toiles refusées, autant qu'il en fallait pour arriver au chiffre réglementaire de 2500 oeuvres reçues. Luttant contre la fatigue et s'efforçant d'y voir clair, les membres du Comité poursuivaient leur chemin au milieu des toiles étalées à même le plancher en mares stagnantes, ou appuyées aux cimaises en rangées interminables.
    C'est à la passion de Zola pour la documentation que nous devons cette description de ce qu'était le Salon sous le Second Empire. L'écrivain parle également du jour du vernissage, réservé, suivant la tradition, aux artistes pour qu'ils puissent faire la toilette suprême de leurs oeuvres, une fois qu'elles étaient en place, avant l'ouverture officielle de l'exposition. ce jour-là avait lieu une sorte de fête, à laquelle assistaient les milliers de privilégiés qui avaient pu obtenir une carte d'invitation et qui venaient à la grande exposition d'art qui se tenait au Palais de l'Industrie comme s'il s'agissait d'un carnaval national. Des files de messieurs décorés de la Légion d'honneur, s'adressant mutuellement des sourires et des courbettes, des critiques d'art feignant de prendre des notes en marge de leur cataloge, des marchands de tableaux énonçant à haute voix leurs expertises, des modèles professionnels s'exhibant au voisinage des toiles pour lesquelles ils avaient posé, des peintres rivaux vouant au mépris du public leurs oeuvres réciproques, des familles d'artistes faisant des pronostics sur la distribuition des médailles, des dames élégantes en chapeaux à fleurs, et leurs escortes en redingote et haut-de-forme, jusqu'à des soldats, des marins, des enfants avec leurs nourrices, tous étaient là, hôtes du "monde des artistes". Ils pénétraient par l'immense hall dont le froid dallage renvoyait le bruit de leurs pas comme dans la nef d'une cathédrale; ils gravissaient les marches des escaliers monumentaux, jusqu'aux trente-cinq galeries aux plafonds de verre, où les tableaux étagés multipliaient les champs de bataille ensanglantés, clairières de forêts hantées par des nymphes, nus mythologiques, soldats chargés de médailles, scènes des réjouissances impériales. Ils déambulaient par les allés de sable jaune de la Galerie du Jardim où, dans une atmosphère polaire, des satatues de marbre lépreuses s'appuyaient aux arbustes en caisse. Ils prenaient un instant de repos sur les canapés circulaires récemment installés autour des gerbes de feuillages tropicaux, on allaient se rafraîchir. La crise arriva avec le Salon de 1863. Comme c'était à prévoir, la Naissance de Vénus de Cabanel, nu couché auréolé de chérubins, remporta les applaudissements du jury, puis fut acquise par l'Empereur. En revanche, quelque deux mille toiles et un millier de sculptures furent refusées et leurs auteurs protestèrent bruyamment. Luis-Napoléon décida de se rendre compte des choses par lui-même. Il visita le Palais quelques jours avant la date officielle d'ouverture et, après avoir examiné quarante toiles refusées, décida de laisser le public régler lui-même la question. Malgré quelques objections de la part de l'Academie, il ordonna d'exposer les oeuvres refusées à l'écart des autres, dans sept salles disponibles dans le palais.

 

 



Honoré Daumier: Le dernier jour de la réception des tableaux, lithographie parue dans "Le Charivari", le 20 février 1846.
 

 

 

 

 

 

 



Maurice Leloir: Le vernissage du Salon, le 11 mai 1879.

 

 

 
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