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Degas à Nouvelle-Orléans
"En janvier, certainement, je
serai de retour. Pour varier mon voyage, je compte passer par la
Havane. Là touchent les transatlantiques français. - J'ai hâte
de vous retrouver chez moi, de travailler dans un contact. On ne
fait rien ici, c'est dans le climat, que du coton, on y vit pour
le coton et par le coton. La lumière est si forte que je n'ai pu
encore faire quelque chose sur le fleuve. Mes yeux ont si besoin
de soin que je ne les risque guère. Quelques portraits de
famille seron mon seul effort; je ne pouvais l'eviter et ne m'en
plaindrais certes pas si c'était moins difficile, si
l'installation m'etaitmoins insipide et les modèles moins
remuants. Enfin! C'est une course que j'aurais [sic] faite et
peu de chose en plus. Manet, plus que moi, verrait ici de belles
choses. Il n'en ferait pas davantage. On n'aime et on ne donne
de l'art qu'à ce dont on a l'habitude. Le nouveau captive et
ennuie tour à tour."
Lettre de degas à Henri Rouart,
5 décembre 1872
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Edgard Degas: Le bureau de coton à Nouvelle-Orléans - 1873 |
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La
guerre avait épuisé les forces de Degas. Il se plaignait de souffrir des
yeux, conséquence, à son avis, du froidqu´il avait enduré au cours des
longues nuits de garde pendant le siège. Lorsqu´à la fin de l´année 1872
son frère René vint de la Nouvelle-Orléans faire un voyage en France. il
n´eut aucune peine à persuader Edgar de rendre visite à la branche
américaine de la famille. ces quatre mois passés à Nouvelle-Orléans sont
mémorables à pluisieurs points de vue. Degas y rencontra son oncle
Michel Musson, frère de sa mère, morte en 1851, qui vivait avec la
famille de René dans une immense résidence sur sur l'Esplanade, pouvre
de toutes les facilités offertes par le luxe d'avant la guerre de
Sécession, à la seule différence que les esclaves noirs étaient
maintenant devenus des domestiques. "Rien ne me plait - écrivait Degas -
comme les négresses de toute nuance, tenant dans leurs bras des petits
Blancs, si blancs sur des maisons blanches à colonnes de bois cannelées
et en jardins d'oranges, et les dames en mousseline sur le devant de
leurs petits maisons, et les steamboats à deux cheminées, hautes comme
des cheminées d'usine [...] et le contraste des bureaux actifs et
aménagés si positivement avec cette immense force animale noire, et.,
etc. Et les jolies femmes de sang pur et les jolies quarteronnes et les
négresses si bien plantées!"
La maison Musson-de Gas était pleine de jolies femmes,
et c'est une des rares fois dans sa vie qu'Edgar accorda une pensée aux
problèmes familiaux, tout au moinsen ce qui le concernait. "J'ai soif d'ordre.
Je ne regarde pas même une bonne femme comme l'ennemie de cette nouvelle
manière d'être..."Il avait une grande affection pour sa belle-soeur,
Estelle, fille de Michel Musson, dont le quatrième enfant, Jeanne,
naquit peu après son arrivée et dont il fut le parrain.
La toile plus célèbre de la période américaine de
Degas est le Bureau de coton à la Nouvelle-Orléans. Le vieux monsieur
qui examine une bourre de coton brut est son oncle Michel Musson, le
père d'Estelle: le personnage barbu tenant un journal déployé est le
frère cadet d'Edgar. René; le personnage accoudé à la cloison à
l'extrême gauche du tableau est son frère Achille. Lorsque leur père
Auguste-Hyacinthe de Gas était mort à Naples au début de 1874, les
affaires de sa banque étaient dans une situation désastreuse, due pour
une grande part au financement des spéculations de René à la
Nouvelle-Orléans sur marché du coton. Achille avait essayé de faire
patienter les créanciers en cherchant pour le compte de René un
arrangement en vue de rembouser par mensualités échelonnées capital et
intérêts: mais la crise qui suivit la guerre de Sécession finit par
atteindre la Nouvelle-Orléans, et ce bureau de coton, si actif et si
bien installé, se trouvait à cette époque à la veille de la faillite.
L'un des créanciers d'Auguste de Gas, la banque d'Anvers, allait
poursuivre les fils de Gas pour le remboursement d'une somme de 40000
francs, précipitant l'effondrement des affaires de René. Edgar et
Achille s'engagèrent alors à rembouser les dettes de leur père par
mensualités.
Daniel Halévy rapporte que les difficultés
financières de sa famille changèrent brusquement l'attitude de Degas
envers l'art et la vie en général. "Il ne pouvait endurer que l'honneur
du nom familial fût taché", dit Halévy. Privé du jour au lendemain des
revenus personnels qui lui avaient permis de vivre en homme du monde, il
abandonna |